Autour d'un verre ou deux (PV Jason Lee) - TERMINÉ

« Vous avez un nouveau message. » Un pas devant l’autre, il se rendait à la destination qui était indiquée dans cette invitation. Il ne s’était pas trop posé de questions. La fatigue accumulée avait tellement brouillé son cerveau qu’il se rendit compte qu’il allait rencontrer son amie seulement à moitié chemin. Ce n’était pas elle le problème, ni le pub où il se rendait, mais le fait que la dernière fois qu’il lui avait parlé remontait à… à quand déjà? À il y a bien des semaines. Il se rappelait encore la dernière phrase qu’il lui avait dit : « Ne t’inquiète pas, j’ai trouvé de la super bonne colle pour cœurs brisés », en parlant de sa rupture avec Karolane. Andrew avait toujours été là pour lui, mais l’avait-il été autant? Non. Pas du tout. Il ne savait pas grand-chose de la vie personnelle d’Andrew à vrai dire.

Il ne s’était pas trop posé de questions, non. Mais celle-là, elle revenait toujours. Et il se promit d’en parler à sa meilleure amie… après avoir pris des nouvelles d’elle. De sa vie personnelle. Comme le font les vrais amis. Même les agents secrets. Un pas devant l’autre, ne pas se laisser prendre par Morphée. Non. Rester éveillé. Ah, eh bien justement, il pourrait se détendre un peu. L’enseigne qu’il recherchait brillait, un peu par là-bas. Enfin. Le chemin avait semblé si long…

La chaleur le surpris, mais il ne s’en plaignit pas. Il y trouvait un certain confort, une sincère impression de sécurité, dans cet endroit familier. Et elle était là, assise, un peu de profil, au bar, commandant un autre verre. Lui, il sourit, encore debout près de la porte, sans bouger. Il n’avait jamais bu avant de la rencontrer. Mais peu importe. Il ne buvait qu’avec elle. Ça faisait partie de ce qui était spécial avec elle. Le plaisir. Un vrai plaisir. Pas hypocrite.

Puis, il se dirigea vers son amie d’un pas plutôt incertain et lent, et fut content de voir qu’elle était aussi cernée que lui. Il ne put s’empêcher de rire en la voyant là, les yeux à demi-fermés, baillant aux corneilles.

- Eh bien, la belle au bois dormant? Ça fait longtemps!

Andrew tourna la tête et sourit à ce visage familier. Jason, sacré bout en train, une force tranquille se dit-elle. Un visage tiré, les yeux cernés - quoiqu'elle aussi - et peinant à rester ouverts. Ils étaient tous blasés dans ce métier ce dit-elle, tous et toutes. Traquer des criminelles et autres choses qui n'étaient peu ou pas humaines, jusque dans son sommeil, celui des autres, celui auquel ils n'avaient pas droit. La jeune femme chassa les éléments du dossiers qu,elle ressassaient sans cesse dans sa tête, afin d'accueillir son viel ami.

- Eh bien, la belle au bois dormant? Ça fait longtemps!

- Mets en que cela fait longtemps! Et on dirait que tu n'as pas dormis depuis, avoue que je t'ai manqué, le taquina-t-elle. Comment sa va Monsieur le Marchand de Sable? T'es finalement venue picolé avec ta vielle amie on dirait.


Jason et l'alcool, ça faisait deux. Mais pour relaxer, dans leur pub miteux et serein, on pouvait compter sur lui.

- Pas beaucoup. On aurait du passer nos nuits ensemble, à faire des sleepovers.

Il s’assit sur le banc à côté de son amie, ses lèvres dessinant un vague sourire. À chaque fois qu’il la voyait, c’était pareil. Elle revenait. Karolane. Mais un jour ou l’autre il devrait faire son deuil. Et dissocier Andrew de Karolane. De son cœur brisé.

- J’avais oublié que c’était toi, ma colle.

C’était sorti spontanément, tout seul. Il s’en voulu, il ne voulait pas la gêner, ni lui-même. Mais c’était raté. Déjà il se sentait rougir jusqu’aux oreilles. « Misons sur l’éclairage… », se dit-il. Mais c’était tout de même vrai. Terriblement vrai. Oui, elle l’avait tellement manqué ces derniers temps. Et il s’en voulait d’avoir mis leur amitié sur pause. Et il se promit, encore une fois, de ne plus toucher cette télécommande, avec laquelle il croyait si bien contrôler la vie.

Andrew soupira. Pauvre Jason, elle aurait tant voulu l'aider plus, tout lui faire oublier mais même l'oubli ne peut soulager parfois. Elle posa une main amicale sur son épaule et la pressa chaleureusement.


- Même si je suis une sorte de crazy glue? , lui glissa-t-elle avec un sourire réconfortant.


Le barmaid arriva avec leurs doubles whisky. Servit sur glace, on aurait dit un nectar, une sorte de miel liquide, ou encore de l'ambre liquide. Oui, c'était ça, de l'ambre liquide, se dit-elle, le regard perdu. Elle repensa a Phillip, comment allait-il, comment se sent-il... Si seulement elle n'avait pas été si... Si quoi?

- Tu n’es pas folle voyons, dit-il, riant. Juste un peu dérangée. C’est tout.

Il se sentait comme avant. Comme au tout début. Mais avec une moitié de perdue. Qu’il comblerait plus tard, sans doute. La vie ne s’était pas arrêtée. Elle continuait d’avancer. Et Jason devait la suivre, et rester optimisme. L’avenir n’était surement pas si noir. Non… Et Andrew, comme toujours, réussissait à faire naître un optimisme en lui, pourtant presque invisible parmi le pessimisme qui le rongeait. Et plutôt malgré elle, en fait. Mais peu importait, il se sentait bien avec elle. Et c’est ce qu’il avait désespérément besoin, ces temps-là. Quelqu’un sur qui compter, quelqu’un avec qui déconner. Quelqu’un pour oublier tous les malheurs du monde…

- Bon, eh bien, je bois à ta santé, miss! En te faisant promettre de dormir un peu plus demain soir. Parce que ce soir, je compte passer une nuit blanche en compagnie de mon pot de colle! Santé!

Folle, un peu, dérangée certainement se dit-elle. Pas autant que bien des gens qu'elle voyait, les échaper d'asiles ou ceux qu'elles y envoyaient, mais un peu. Ça faisait chaud au coeur de le voir sourire un peu, ça lui redonnait des couleurs, un peu de chaleur à son coeur glacé peut-être aussi. L'amitié, la clé du secret du bonheur!

- Tu sais, dans le métier qu'on fait, on est tous un peu dérangé!


Elle rit, quel métier de fou!

- Bon, eh bien, je bois à ta santé, miss! En te faisant promettre de dormir un peu plus demain soir. Parce que ce soir, je compte passer une nuit blanche en compagnie de mon pot de colle! Santé!

Elle rit son verre, le leva à son tour, contenue un rire de bon coeur. Pot de colle, super petit surnom à rajouter à la liste.... Noire ! Sacré Jason! Il callèrent tout deux cul-sec, à grand renfort de grimaçes. Andrew reposa son verre d'un coup sec sur le comptoir de céramique avant de s'écrier au barmaid:

- Serveur! Deux autres whisky !, elle se tourna ensuite vers Jason. Une nuit blanche de plus ou de moins, quelle différence ça fait?


Elle pensa brièvement au lendemain, à cette mission qu'elle effectuait avec son équipe, un équivalent de la SWAT. Silence les Waq Attaquent Tonight! Ce ne devait pas être la définition... Que ce serait insuportable de supporter les coup de feux avec la gueule de bois.. Buvons plus pour oublier!

- Eh bien, j’ai arrêté de compter il y a un bout, alors je suis d’accord avec toi. Une de plus ou de moins, on ne verra pas la différence. Mais un whisky de plus, on la verra peut-être…

Il ne put s’empêcher de rire. Il ne fallait pas y aller trop fort sur l’alcool avec lui. Mais il n’y pensait même pas, qu’il avala le deuxième, passant proche de s’étouffer en riant devant la face d’Andrew, se disant que la sienne devait être pire. Qu’il la perdrait sans doute le lendemain, que sa gueule serait en bois, mais peu importe. Ça valait la peine. Juste pour la face.

- Ha! Ha! Ha!

Puis il se leva, perdant presque l’équilibre (c’était la fatigue, pas l’alcool, voyons), sourit à Andrew et lui présenta sa main.

- Me feriez-vous l’honneur d’une danse?

Andrew s'esclafa de voir l'optimiste de Jason à caller son verre, malgré l'éttoufement que cela provoquait. Les grimacent qui en suivaient. L'alcool les berçaient déjà de ses douceux effets. Il se leva semi titubant pour demander une danse. Il faudrait le surveiller pour ne pas levoir tomber en coma étilique! Pas avant les petites heures du matin du moins! Elle rit de plus belle, se levant à son tour.

- Une danse demandé par nul autre que jambe de bois en personne! C'est à mes risques et périls, mais d'accord hahaha!


Ils avancèrent vers le petit espace qui s'avérait être une piste de danse improvisée.

- Alors, un tango, une salsa ou encore un grand ballet!, se moqua l'ancienne ballerine.

- J’opte pour… enfin. L’improvisation.

En fait, il ne savait pas trop dans quoi il s’était embarqué, mais aussi bien profiter de la soirée et se laisser aller. Il prit la main d’Andrew, la fit tourner sur elle-même. Il lui offrit un de ses plus beaux sourires en lui proposant de lui apprendre quelques-uns de ses soi-disant « superbes mouvements de déesse », avant d’éclater de rire, s’imaginant avec elle, traversant la salle en effectuant des pirouettes et des pointes tels les plus grands danseurs de ballets… des balayeurs, quoi.

- Attention à tes jambes de porcelaine, petite. Barbe Noire s’en vient avec sa jambe de bois! dit-il, essayant d’imiter un accent de pirate.

Pitoyable. Il était ridicule. Mais ils l’étaient tous les deux. Bien… plus lui qu’elle, au fait, mais peu importe.

- Tu penses m'intimider? Hahahaha! Et on ne dis pas ballayeur au fait! C'est le concierge qui fait ça, tu devrais danser avec lui.


Elle tenta en vain de suivre les mouvements désordonner et non coordinés de Jason, riant de plus belle à chaque faux pas. Riant tout le temps en fait. Il ne restait que cinq autres personnes dans le pub, y compris le barmaid. C'était tranquilles, ils avaient du plaisir et riaient comme deux... Saouls? Peut-être!

Ils dansaient sur des airs endiablés des...! Beatles! C'était presque une profanation que de danser aussi mal sur ces albums.

- A force de nous voir danser, le barmaid ne voudra plus rien nous servir par peur qu'on casse tout! En fait, que tu casse tout!


A force de tourner elle se transformerait en toupis, ou en perceuse, ou en toupis perceuse. Et demain ça tête serait assaillis de marteau piquueur. Barmaid, Tylenols! Hahahah, elle riait intérieurement d'elle-même. Oh tient, elle avait envie de vodka!

Whisky, vodka, tequila, et cetera, la soirée avançait tranquillement, et le taux d’alcool dans leur sang également. Depuis longtemps retournés au bar après leur danse, plutôt épuisés d’avoir plus ri que dansé, Andrew et Jason parlaient de tout et de rien, essayant le plus possible d’éviter le travail comme sujet de conversation. Le beau temps de ces derniers jours malgré leurs rares sorties à l’extérieur, les travaux semblant inachevables partout dans la métropole, les différentes activités de cette fin de semaine… Bref, passant du coq à l’âne, la soirée restait tranquille jusqu’à présent, et elle faisait tellement de bien à Jason. Enfin laisser le travail derrière, pour quelques heures au moins, quelques heures de répit avant de replonger dans ce monde imparfait qu’est le nôtre. Quelques heures pour oublier les horreurs, pour se créer un monde un peu mieux qu’à tous les jours. Ça, il avait réussit. Ce soir-là, du moins. Mais ce n’était que temporaire. Un monde artificiel, impossible. C’était simplement noyer son chagrin dans l’alcool, indirectement. Et le lendemain, tout serait comme la veille, peut-être encore pire.

- Ne t’es-tu jamais demandée comment serait ta vie sans l’Agence?

C’était sorti comme ça, mais ce n’était pas à cause de l’alcool. Cette question, il la retournait sans cesse dans sa tête depuis qu’Andrew avait laissé un message sur son répondeur. Non, il ne l’aurait sûrement jamais rencontrée s'il n'avait pas été dans l'Agence, mais il aurait rencontré quelqu’un d’autre qui le ferait sentir aussi bien qu’elle en était capable, elle. Et peut-être qu’il ne serait pas dans le même état qu’il l’était aujourd’hui. Peut-être serait-il déjà marié, aurait-il des enfants. Vingt-trois ans, et toujours aucun avenir certain… L’A.N.G.E. était en soi un avenir incertain.

- Ne t’es-tu jamais demandée pourquoi nous sauvions la vie d’inconnus qui ne la mérite peut-être même pas? Pourquoi ne sauvons-nous pas la nôtre? Pourquoi on réserve un avenir aux autres, mais pas à nous? Parce que la mort nous attend, souriant, attendant le moment opportun. Dis-moi… Pourquoi?

[i] Tranquille, assise sur son tabouret, accoté au bar, son verre de whiskey à la main, picolant telle une vielle alcoolique, Andrew écoutait Jason. L'alcool était relaxant, engourdissant. Deux choses apaisaient l'esprit, le sport, beaucoup de sport et l'alcool, beaucoup d'alcool. Il était tard, il ne restait qu’eux, et un autre client, loin au fond. Dormait-il? On aurait bien dit. Le barmaid nettoyait, faisait l’inventaire mais ne disait jamais rien. Il savait qu’ils consommait, il savait qu’elle payait en liquide et qu’elle avait le bras long. Elle était dans les particuliers.

- Ne t’es-tu jamais demandée comment serait ta vie sans l’Agence?

Andrew le regarda perplexe, perplexe de ce soudain changement de cap de conversation. Elle se redressa, sentit sa colonne vertébrale craquée comme si elle se replaçait. Soupira et repris sa position, accoté sur le bar, haussant les épaule, le regard plongé dans son verre. C’était une bonne question. Sa vie serait plus tranquille. Plus sereine. Peut-être même banale et ennuyeuse. Mais moins compliquée. Elle passerait ses journées à s’adonner à des hobbys de gens riches, voyagerait, reprendrais peut-être des études, reprendre le ballet, pourquoi pas?


- Ne t’es-tu jamais demandée pourquoi nous sauvions la vie d’inconnus qui ne la mérite peut-être même pas? Pourquoi ne sauvons-nous pas la nôtre? Pourquoi on réserve un avenir aux autres, mais pas à nous? Parce que la mort nous attend, souriant, attendant le moment opportun. Dis-moi… Pourquoi?



La jeune femme tourna la tête vers son ami, plongea son regard dans le sien. Cette question. Pour une fille qui s’amusait à danser avec la mort depuis sept ans, qui noyais sa vie dans l’alcool comme la luxure comme le travail, qui était plus froide que la glace qui flottait paisiblement dans son verre.... Qui mérite la vie, qui mérite la mort? L’avenir, c’est quoi, sinon la prochaine mission? Les prochaines élections?

- Parce qu’on est blasé, répond-t-elle. On a déjà tout perdu, alors un peu plus ou un peu moins.

- Parce qu’on est blasé. On a déjà tout perdu, alors un peu plus ou un peu moins.

Il reçut la réponse comme une balle dans le cœur. Tout perdu. Une famille, des amis, un avenir peut-être. Tout pour devenir un fantôme sauveur de vie. Et si seulement il en avait eut un peu plus à perdre, peut-être n’aurait-il jamais accepté de poursuivre ses études à Alert Bay. Peut-être que tout aurait été différent. Non, pas peut-être. Tout aurait été différent.

Le regard dans le vide, il voyait sa vie défiler, en accéléré, comme pour s’attarder aux meilleurs moments. Comme s’il était en train de mourir. Mais n’était-ce pas un peu le cas? N’était-il pas en train de mourir, un peu plus chaque jour? Et qu’avait-il gagné à tout ça? La satisfaction d’avoir arrêté de dangereux psychopathes, d’avoir sauvé la vie de certains chanceux? Était-ce vraiment assez? La vie pouvait-elle se résumer à ça?

- Et si, au fond, ce qui nous restait aurait du nous convaincre de s’y accrocher? Pourquoi l’avons-nous abandonné? Espérant trouver une récompense au bout du compte, un trésor parmi ces criminels, ces psychopathes, ces démons? Non, mais… espères-tu encore la trouver, cette foutue récompense?

- Et si, au fond, ce qui nous restait aurait du nous convaincre de s’y accrocher? Pourquoi l’avons-nous abandonné? Espérant trouver une récompense au bout du compte, un trésor parmi ces criminels, ces psychopathes, ces démons? Non, mais… espères-tu encore la trouver, cette foutue récompense?


Elle le regarda, il avait raison. Si elle n’avait pas perdu ses parents, elle n’aura pas quitter sa région. Elle n’aura pas abouti à Alert Bay, elle ne serait pas devenue une tueuse, n’aurait peut-être jamais vu des gens mourir, de ses mains ou celles de autres, n’aurait peut-être pas eu a faire des choix.
Tout ça pour quoi? Plus d’action, plus de réussites, plus de missions, plus de blessures, d’atrocités. Pour mener à quoi? Arrêter des criminels. Se prendre des balles.


- Non je ne l’attend plus, Jason. Je suis aussi consciente qu’il n’y en a jamais eu. J’essaye juste d’éviter que d’autres finissent comme nous. Si au moins je peux servir à ça.


Elle soupira, prit son verre et en prit une grande gorgé. Noyer les doutes. Elle repensait au dossier. Elle devait boucler cette affaire au plus vite, demain, après la mission, la fouille. Les arrestations.

- Si au moins je peux servir à ça…

Si. Il y a toujours des conditions. Des restrictions. Disait-elle ça sincèrement, ou simplement pour paraître positive? Si seulement… Si seulement tout ce travail menait à une reconnaissance, à quelque chose. Non. Un fantôme. Il n’était plus personne. Il n’était que le produit que le gouvernement avait créé, un pion de plus pour lutter contre le mal, bien que chacun sache qu’il soit toujours là, qu’on ne le veuille ou non. Le bien et le mal doivent vivent ensemble, s’entrecroiser et changer la face du monde. Mais l’un ou l’autre finissait toujours par briller plus fort…

- Servir à faire briller le bien plus fort que le mal… Tout un contrat.

C’est vrai que ce n’était pas évident. Risquer sa vie à faire la guerre contre le mal, espérer gagner une fois de plus, sans en avoir la certitude. Où cela pouvait-il mener? Au mal, bien sûr. À l’obscurité. Totale… La mort.

- Vit au jour le jour Jason, c'est ce que je peux te conseiller de mieux. Et quand tu en auras l'occasion, d'avoir une vie une vraie, promet-moi de donner ta démission le jour même.



Il avait une chance. Il aurait une vie, une belle vie. Un avenir, des enfants sûrement. Le chanceux, il aurait des enfants. Elle, elle aurait les balles, les ciacatrices, les souvenirs, les dossier, plus de grades, d'autorité, plus de gens sous ses ordres. Plus de secrets à cacher, à découvrir, à protéger. Plus de gens à éliminer pour mieux assurer la sécurité des autres. Mettre sa vie en péril, ne jamais s'attacher, ne pas faire confiance. Ne jamais laisser tomber ceux qui restent mais ne jamais laisser tomber pour eux. Les protéger de soit.
Elle prit son verre, le leva vers Jason et le vida d'un trait.

Oui, lui il aurait une belle vie.

- Et quand tu en auras l'occasion, d'avoir une vie une vraie, promets-moi de donner ta démission le jour même.

Ses paroles l’avaient surpris. Alors elle croyait vraiment que lui, il aurait une belle vie, une vraie vie, normale? Mais pas elle? Pourquoi pas? Elle était séduisante, sûre d’elle, elle avait toutes ces qualités qui la rendait elle-même. Une personne extra. Et pourtant, elle, elle ne semblait pas si sûre de ce que l’avenir lui réserverait. Il y a avait quelque chose, quelque chose de sous-entendu. Mais quoi? Oh, et pas nécessairement, au fond, lui-même avait dit quelque chose de semblable au sous-entendu que cachait les paroles d’Andrew quelques minutes plus tôt.

Mais tout ce qu’il trouva à dire était :

- Et te laisser seule, sans surveillance?

- Et te laisser seule, sans surveillance?


Andrew rit, secouant la tête, mi-découragée mi amusée. Elle fit signe au serveur de venir remplir son verre à nouveau. Combien de fois cela faisait-il? Peu importe. Elle ne voulait pas penser à comment elle se rendrait chez elle, à comment elle se lèverait le lendemain. Gober des Tylenoles contre le mal de tête, du café pour la fatigue. Et la volonté de coffrer un criminel. Sûrement.
La surveiller. Elle était bien bonne.

- Je te rappel que je tiens à ma légendaire indépendance, lui lança-t-elle avec sourire.


Elle prit une gorgée de l’ambre liquide froid, qui glissa dans sa gorge, procurant la sensation de chaleur classique mais contradictoire à la température. Elle devait relire ce fichu dossier, quelque chose manquait.

- Et je suis une grande fille, rajouta-t-elle.

- Les loups sont de grands chiens, tu sais, mais ils restent en meute... Ensemble.

C’était la meilleure réponse qu’il avait su trouver, se rappelant trois ans plus tôt, lorsqu’ils étaient encore une équipe, Karolane, Moc, Andrew et lui. Et out lui revenait en tête. Lorsqu’il les avait rencontrés à la bibliothèque d’Alert Bay, avant qu’elle n’explose. Peut-être ne devrait-il pas être si nostalgique, mais il ne pouvait s’en empêcher.

Depuis un bout maintenant qu’il observait Andrew boire un verre après l’autre, sans lui-même toucher celui qu’il avait sous les yeux. C’est alors qu’il vit pour la première fois une expression triste sur la figure d’Andrew. C’était quelque chose qu’il n’avait jamais vraiment vu auparavant. Une expression triste – mais pas seulement triste. Comme… un mélange de regret et de déception. Difficile à déchiffrer.

- Tu sais… tu n’es pas si grande que ça. Non, pas comparé au monde qui t’entoure, ce même monde qui t’attend. Si au moins tu te donnais la chance de grandir…

- Tu sais… tu n’es pas si grande que ça. Non, pas comparé au monde qui t’entoure, ce même monde qui t’attend. Si au moins tu te donnais la chance de grandir…


Sourcils froncés, le regard noyé dans l'alcool que contenait son verre, elle était en quelque sorte distraite. Grandir, elle avait finit depuis longtemps. Elle se sentait presque vielle et aigrie. Les bouteilles étaient presque toutes vides, le bar devrait bientôt se réapprovisionner. Surtout en whiskey. La facture serait salée ce soir, enfin, en quelque sorte. Quelques cent dollars et plus, cela ne représentait guère à ses yeux. Le monde qui m’entoure, pensa-t-elle. Les édifices, les voisins, l’agence? La chance, on ne se la donne pas. Enfin, peut-être? Non? Peu importe...
Elle prit une autre gorgée, déposa le verre et tourna la tête vers Jason, le visage en point d’interrogation.


- Je ne suis pas très apte à faire des résonnement.. Encore moins a philosopher, rit-elle. Que veux tu dire?

Jason sourit. Finalement, il n’avait pas tant bu... À moins qu’il ait une meilleure résistance à l’alcool que son amie. Ou peut-être que l’alcool embrouillait ses pensées aussi… Mais peu importe. Ça n’avait aucune importance. Puisque enfin il s’ouvrait à quelqu’un. Enfin, Andrew également. Si les mots peuvent faire du bien, alors pourquoi pas. Et s’ils feront mal demain, eh bien tant pis. À cet instant, seul le présent comptait. Et tant mieux.

- J’essaie juste de dire que tu t’empêche de voir le bon côté des choses. Pourquoi ton avenir ne serait pas aussi beau que le mien. Ben… en tous cas, tu comprends ce que je veux dire. Peut-être.

Non, en fait l’alcool se rendait à son cerveau. Les mots sortaient, mais mal. Comme si le sens n’était pas clair. Eh bien… il ne l’était pas, justement.

- J’essaie juste de dire que tu t’empêche de voir le bon côté des choses. Pourquoi ton avenir ne serait pas aussi beau que le mien. Ben… en tous cas, tu comprends ce que je veux dire. Peut-être..


Andrew sourit, avalant une gorgée. Le verre toujours en main, elle tourna un regard incrédule vers lui. Elle l'observa, prenant son temps de détailler le visage de son ami, sa vie. Il aurait une belle vie. Des enfants, une femme, une maison, un chien et même un camping car. Elle calla le reste de son verre. Souriante, elle cessa de fixer son ami.

- Parce que.

Parce que. Comme si c’était une bonne réponse. Comme s’il pourrait tout comprendre avec ces deux seuls mots. Comme si le sens de son existence, comme si ces deux mots à eux seuls pouvait répondre à toutes ces questions qui étaient jusqu’à présent restées sans réponse. Comme si par ces deux mots elle espérait quelque chose. Et pourtant, ils témoignaient de quelque chose, justement. Mais ils n’amenaient aucune réponse. Juste d’autres questions. Parce qu’on y entrevoyait une douleur, un regret. Ces deux mots prenaient un sens négatif. Comme si on pouvait réellement en distinguer un, un sens. C’était peut-être juste une impression, ou l’alcool peut-être, mais Jason était sûr qu’il avait ramené quelque chose sur la table, quelque chose qu’Andrew, elle, voulait garder dans l’obscurité. Malgré lui, il avait donné vie à d’anciens fantômes qui hantaient son amie. Juste une impression.

- Parce que… quoi?

L'alcool faisait effet, doucement, par vague de whikey. La mer ne tarderait pas a être haute. Le dossier l'attendait, l'assassin aussi. Phillip aussi. Ne pas penser a Phillip. Pourquoi? Parce que. Mais... Mais quoi? Mais je l'aime. Non, ne pas penser ça. Ne pas penser à ça. Ça n'aurait pas marcher de toute façon, ça aurait durer quelques soirs et puis c'est tout, comme à chaque fois. Elle n'aurait pas dû espérer tant, maintenant, chose révolue.
Mais...

- Parce que… quoi?




Parce que n’est pas une réponse, se rappela-t-elle. C’est ainsi, non plus. Quelle étrange soirée, en plus de ne pas dormir, elle aurait une gueule de bois. Aucun remède à ça. Même pas Phillip. Stop. Elle se secoua la tête afin de se réveiller et inspira, haussant les épaules.

- Tu vas avoir une famille, des enfants. Pas moi. Tu vas trouver la bonne personne je te le dis, et tu ne feras pas l’erreur de la voir partir encore et encore, de rater ta chance à chaque fois. On ne viendra pas te voir pour ton cul, ou ton corps, mais parce que tu es une homme charmant et aimant, pas parce que tu es bonne.


Elle cessa de parler, le regard toujours perdu dans les bouteilles, reprenant un souffle trop long. Elle avait un goût amer dans la bouche, des lames de rasoirs dans la gorges. Elle se tourna vers son meilleur ami.


- Tu vas avoir une belle vie, Jason. Crois-moi, elle va bientôt commencer